FAIRE LA VÉRITÉ
La responsabilité de tout homme est grande : les ressources éthiques, spirituelles, intellectuelles de tous sont plus que nécessaires pour cette grande entreprise de ‘’faire la vérité’’, l’œuvre par excellence de l’humanité.
Toutes les disciplines, à leur niveau et dans leur registre, ont une contribution indispensable à apporter à cette recherche dynamique et évolutive du vrai.
L’homme n’a-t-il pas peur de cette responsabilité, à laquelle il ne saurait pourtant se dérober tant il a besoin de sens, de vérité, plus que de pain même pour vivre ?
Ne manque-t-il pas souvent de courage pour ‘’faire’’ la vérité, la créer avec d’autres ?
Est-il effrayé par l’exigence spirituelle de cette entreprise ?
‘’Faire la vérité’’, n’est-ce pas d’abord, en effet, ‘’faire la vérité sur soi-même et en soi-même’’ ?
L’invention de la vérité a une dimension radicalement existentielle et relationnelle : créer, chercher la vérité fait prendre des risques cruciaux, car c’est du fondement même de son être qu’il s’agit, c’est de la vie, de sa vie qu’il est question.
Devant une telle mise en cause potentielle, il est tentant de renoncer à chercher ou à faire la vérité, quitte à vivre une vie médiocre, diminuée, non libre, indigne de l’homme.
La vérité n’est pas seulement d’ordre intellectuel, mais elle engage toutes les autres dimensions de l’être humain.
La vérité est à faire avec toutes les ressources de la personne humaine.
Elle procède de la liberté et elle ‘’rend libre’’.
La vérité s’élabore à partir et en fonction de l’homme, comme une exigence existentielle.
‘’Parler vrai’’, tout le monde le tente, mais parler de la vérité : est-ce encore possible ?
Le relativisme dit : toutes les vérités se valent, mais à ce prix-là, aucune ne vaut vraiment et toute vérité s’efface.
Le dogmatisme, quant à lui, sait ce qu’il en est de la vérité, il en a fait le tour, il la surplombe, il l’a enfermée dans la cage des mots pour mieux la posséder, et du coup le peu de vérité qu’il croyait saisir l’a déserté ; on n’enferme pas la vérité.
Entre relativisme et dogmatisme, entre la figure de la girouette et celle de la cuirasse qui se transforme en carcan, il n’est pas facile de parler de vérité.
Par delà relativisme et dogmatisme, la modernité nous a enseigné que la vérité était plurielle.
C’est sans doute là l’un de ses acquis les plus précieux.
La vérité doit s’entendre à différents niveaux selon que l’on parle de science, qui tente de percer à jour le monde visible, ou d’éthique, à la recherche d’une action juste sur le plan individuel et collectif, ou bien encore de conviction, de sagesse qui porte sur les questions ultimes.
Vérité du savoir, vérité de l’agir et vérité de pensée, il y a plusieurs demeures dans la maison de la vérité.
Si la vérité est plurielle, elle n’est pas éclatée : une unité organique doit être posée pour rendre compte de l’interdépendance de ces différents registres.
La vérité du savoir scientifique a besoin pour subsister de la vérité du niveau éthique, qui elle-même a besoin de s’enraciner dans le terreau des convictions.
La vérité, à ces différents niveaux, tient ou tombe solidairement.
La vérité de la conviction est la plus essentielle, parce qu’elle est à hauteur de destinée.
Cependant on ne va pas au vrai dans la solitude mais dans la coexistence.
On ne peut être installé dans le savoir absolu, la ‘’désinstallation’’ est la seule ouverture possible au vrai.
C’est dans la volonté d’omnipotence (ou de tentation hégémonique) que Hannah Arendt repère la ‘’déformation professionnelle’’ qui empêche de traiter véritablement de la pluralité effective.
Toute la question tient là : Où se situe la vérité ? Qu’entend-on exactement par vérité ? Quelles limites faut-il lui reconnaître ? Absorbe-t-elle l’intelligibilité de toute chose ? Comment faut-il la comprendre ?
Poser ces questions, ce n’est en rien scepticisme ou relativisme.
C’est au contraire ouverture.
La question de la vérité, le souci d’être dans le vrai, est une question qui relève bel et bien du souci de l’homme.
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