NORBERT SEGARD : UN MODÈLE
« Norbert SEGARD n'était pas un homme de pensée et un homme d'action ; il était " un homme - un ", comme le voulait Maurice BARRES, dont la pensée était agissante.
C'est par ce trait distinctif qu'il frappa tous ses interlocuteurs dès son entrée dans les Conseils du gouvernement.
Il était ministre du Commerce extérieur depuis quelques semaines quand un haut fonctionnaire du Quai d'Orsay, qui avait participé sous sa présidence à une séance de travail, me dit : " Savez vous ce que nous apporte M.SEGARD ? Une pensée personnelle. J'espère que mes collègues voudront bien le lui pardonner ".
Quand il eut la charge des Télécommunications, j'eus parfois l'impression qu'il lui fallait déployer beaucoup de douce fermeté pour obtenir le pardon de quelques technocrates accoutumés à former, non pas un Etat dans l'Etat, mais un Etat au dessus de l'Etat.
La maladie l'empêcha de briser certaines résistance et ne lui laissa pas le temps d'achever son œuvre, c'est à dire de faire partout prévaloir l'esprit de conquête et d'innovation sur l'esprit de routine, qui est le plus dangereux complice des intérêts inavouables.
Commutation électronique, fibre optique : ces mots (savants pour moi, mais non pour lui) se mêlent curieusement à la souvenance de nos derniers entretiens.
- Voyez vous, Maurice, ma tâche est double : donner à tous les français le téléphone d'aujourd'hui ; donner à la France le téléphone de demain, pour qu'elle s'en serve et pour qu'elle le vende.
- Vous savez bien, Norbert, que vous avez gagné la première manche. Vous savez comment gagner la seconde. Alors ...
- Alors, Maurice, je souffre comme une bête.
La nuit tombait ; dans le trop vaste bureau de l'avenue Ségur, nous nous devinions sans nous voir ; pour la première fois, je me suis dit alors, non pas que Norbert allait mourir, mais que j'allais le perdre, ce qui est bien autre chose.
Rares sont les vies, et surtout les fins de vie, auxquelles est épargnée la montée d'un calvaire.
Mais Norbert SEGARD a porté sa croix avec une fermeté si exemplaire - dans une circonstance mémorable - si explicite que son nom seul suffit à réveiller une sorte d'émerveillement.
Je ne peux me défendre de penser à la vie de Norbert comme une symphonie inachevée.
Ses élèves et ses compagnons de route sont- ils dignes de continuer la partition ?
Ce florilège de témoignages dont la ressemblance est symbolique démontre qu'ils s'y emploient sans se poser de questions, comme s'il était la pour les entendre et parce qu'il est là pour les attendre, au seuil de l'éternité. »
Maurice SCHUMANN de l'Académie française, Président de l'Association Norbert SEGARD de 1985 à 1998.
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