RETOUR DE L’ÉTHIQUE
Nous vivons une époque où l'éthique semble avoir envahi l'espace : le commerce est éthique, les entreprises adoptent des chartes éthiques, etc.
Pourtant le capitalisme est dans tous ses états ; jamais "l'amour de l'argent", comme dirait Keynes, ne l'avait conduit à de telles extrémités : rémunérations extravagantes de certains, rendements chimériques, obscénité de la misère, explosion des inégalités, dégradation de l'environnement...
L'émergence de l'éthique est-elle une réaction au spectacle affligeant des conséquences morales et sociales d'un monde économique déserté par l'éthique ?
Car on ne peut rejeter avec légèreté l'hypothèse que l'oubli de l'éthique aujourd'hui, comme hier, a conduit le système à la crise.
"Les deux vices marquants du monde économique où nous vivons, écrivait Keynes, sont que le plein emploi n'y est pas assuré et que la répartition de la fortune et du revenu y est arbitraire et manque d'équité."
D'où vient que l'on puisse porter un tel jugement ?
L'économie ne se donne-t-elle pas comme la science par excellence disjointe de toute considération éthique ?
L'autonomie de l'économie est une illusion, comme sa capacité à s'autoréguler.
Et c'est parce que le balancier a penché un peu trop du côté de cette illusion que nous en sommes arrivés à la rupture présente.
Ce mouvement de balancier correspond à une inversion des valeurs.
L'éthique, pensait-on, serait mieux servie si l'on régulait davantage le fonctionnement des États et si l'on dérégulait davantage les marchés.
L'ingéniosité des marchés financiers d'abord, leur aveuglement ensuite, a fait le reste.
Le spectacle de l'argent facile brouille les horizons temporels.
Des rendements financiers anormalement élevés contribuent à la dépréciation du futur, à l'impatience pour le présent, au désenchantement du travail.
La dépréciation du futur, qu'elle soit la conséquence d'exigences insoutenables de rendements financiers ou de taux d'intérêt anormalement élevés, s'oppose à l'horizon temporel forcément long de l'économie réélle.
Pour redonner de l'éthique au capitalisme, il convient de rompre conceptuellement avec le passé doctrinal qui nous a conduits aux graves turbulences d'aujourd'hui.