APPRENDRE A ACCOSTER
« La vie est une aventure que l'on ne choisit pas.
On l'accueille pour ce qu'elle a de plus beau, puis on accepte d'en faire une petite aventure, pas trop loin pour garder le rivage en vue.
Nos points de repères sont essentiellement extérieurs. On reconnaît les côtes, on salue de la main les baigneurs et ceux qui se baignent des rayons du soleil. On se laisse bercer par la vague et tanguer par la marée. Assuré de son aventure, on fait une lecture sérieuse sur les instruments de navigation. La sondeuse nous indique les profondeurs des eaux et les mystérieuses créatures qui s'en font leur habitacle naturel. La confiance aidant, nos randonnées ne ressemblent plus à certaines parades pour les vacanciers du bord des côtes. Un souffle du large oblige à larguer les amarres pour un horizon sans côtes et sans phares.
Cette étape appelle à la confiance en soi et en ses instruments de bord.
Le radar nous indique des points de repères inédits et nous nous sentons habités d'un air salin qui chatouille le nez humant le vent du large.
Puis vient le temps où il faut accoster pour refaire les provisions.
Tant pour la réserve en essence que pour les victuailles.
Mais il y a une réserve à refaire pour celui qui se veut "pied marin".
La vie a ses vagues comme la mer a ses houles.
Les vents contraires obligent à accoster là où la routine se fait plus stable. Habitué à la vague berceuse, le quai en perd ses allures pourtant solides pour donner l'impression d'une mère berceuse de ses rêves et de ses illusions.
La bateau n'est plus seul au quai et ses voyageurs trouvent quelques anecdotes à échanger.
J'en suis rendu à ce point d'arrêt temporaire, mais combien nécessaire dans ma vie.
Tous les bateaux se ressemblent lorsqu'ils sont accostés au même quai, comme tous les malades se ressemblent dans la même salle de soins concentrés.
Chacun a son expérience hors de tels murs marqués par la maladie et la souffrance de vivre.
Un sommeil à ajuster à sa fatigue, un médicament pour ajuster une anomalie que l'on avait sous-estimée.
De mon lit d'hôpital, j'ai vu des gens malades et des proches inquiets.
Je n'étais pas mieux que ceux que l'on traitait et mes proches avaient le même regard des autres inquiétudes.
La vie est ainsi faite et réfuter la souffrance et la malaise de la vie, c'est aussi réfuter la beauté des horizons sans côte et sans phares.
Entre la vie et la mort, il y a une pléiade d'accotement nécessaires afin de reprendre la route entre deux vagues.
La vie au large n'est pas un jardin à cultiver.
Dans ce jardin, le sillon est devant et nous n'avons qu'à y semer ce que nous voulons y cultiver.
Mais la vie, comme le large, le sillon est derrière nous.
Il revient à d'autres d'y semer ce qu'ils aimeraient y voir pousser.
Ils peuvent y semer les souvenirs nostalgiques de nos rendez-vous ratés ou y semer les rencontres anticipées qui ne seront que meilleures. »
(Un cousin canadien)