HUMILITÉ
Humilité. Voilà une vertu fort ancienne et universelle.
L’homme et la qualité dont il peut faire preuve sont issus de la même origine, cette terre (cette poussière vers laquelle on retourne), et on les retrouve intimement associés dans l’étymologie latine, l’ « humus ».
L’humilité a pourtant été souvent oubliée par l’homme.
L’orgueil et la suffisance ont su trouver le chemin du cœur et de l’esprit des Anciens comme des Modernes… et des postmodernes que nous sommes.
Après des années de surenchères, la conjoncture mondiale pourra-t-elle rappeler à nos sociétés les vertus de la modestie ?
De l’authentique humilité ?
Déjà, dans le discours d’investiture du nouveau président des États-Unis, Barack Obama, cette dernière figurait en bonne place quand il parlait de sa méthode de gouvernement.
L’humilité est un combat.
Mais elle est, selon Marcel Aymé, « l’antichambre de toutes les perfections ».
Tout l’effort d’une vie, c’est de se dépouiller d’une certaine image de soi-même que l’on veut promouvoir et dont on attend anxieusement des autres qu’ils vous la renvoient.
« Être humble », en ce sens, serait tenter de se voir et de s’accepter tel que l’on est, ne plus se gonfler devant les autres, les écouter pour être plus lucides sur nous-mêmes, mais sans se préoccuper de la façon dont ils nous jugent.
Être simple ; désarmé, insoucieux de son image, soucieux d’alléger la vie des autres, découvrir aussi chez les autres leur propre grandeur secrète, leur capacité de créer, leurs étincelles de beauté et de bonté.
L’humilité consiste à accepter la vérité sur soi-même.
Cette démarche peut être facilement caricaturale et conduire le sujet à mettre ses défauts en avant jusqu’au misérabilisme et, parfois, à les utiliser pour éviter les responsabilités.
L’humilité vraie s’accompagne d’une grande estime pour les autres.
Dans une conception dévoyée de l’humilité, ce respect pour toute personne porte le sujet à se mépriser lui-même et à juger systématiquement autrui comme infiniment plus digne que lui. L’humilité, ainsi comprise, se transforme en perte de soi, voire en soumission à autrui et ne peut que s’achever en rancœur envers les autres, exprimée de façon voilée mais non moins efficace.
Ces dérives viennent d’une conception qui ne considère que la partie émergée de l’iceberg, à savoir la dimension consciente.
Dans la perspective négligeant l’inconscient, la connaissance de soi se limite à ce qui est apparent et à ce qui est accessible au raisonnement.
Les limites, les erreurs veulent être examinés à la lumière de l’humilité.
Avec la seule exploration consciente, il est possible de situer les moments, par exemple, où nous avons fait preuve d’impatience, de colère, de jalousie.
La reconnaissance précise de ces mouvements est une démarche nécessaire et déjà fort bonne pour tenter de surmonter ses travers.
Cependant, ces défaillances peuvent avoir des racines inconscientes qui les alimentent perpétuellement.
Par exemple, la colère peut venir d’une jalousie non sue ; l’exigence démesurée envers les autres peut être l’expression d’une faille narcissique conduisant le sujet à chercher la perfection de manière compulsive.
L’humilité, qui implique la connaissance la plus complète de soi, devrait pouvoir aller à la rencontre de ces soubassements inconscients.
Dans le cas inverse, elle donne au sujet l’impression de se connaître alors qu’il connaît surtout ses traits de caractère et ses comportements habituels.
Leurs significations profondes peuvent lui échapper et avec elles une partie de sa liberté intérieure.
Au-delà de ces erreurs de perspective sur le sens des défauts, l’approche purement consciente de l’humilité passe à côté de notre rapport au manque et de nos manœuvres pour le tenir à distance.
L’être humain que nous sommes est fragile, limité et mortel.
Nous pouvons le reconnaître intellectuellement mais nous luttons, inconsciemment, de toutes nos forces contre cette réalité.
Nous tentons de la nier, principalement, en laissant se déployer notre fantasme de toute-puissance.
Être dans la suractivité, se rendre subtilement indispensables, occuper différentes fonctions qui recouvrent elles-mêmes des champs de pouvoir sur autrui, éventuellement au nom du dévouement et de la générosité, peuvent correspondre à autant de manières de nourrir l’illusion que tout est possible.
Le devoir d’humilité impliquerait de prendre conscience de cette complaisance avec ce mensonge non conscient.
Lorsque la dimension inconsciente n’est pas prise en compte, l’orgueil voilé, qui sert la bonne cause et présente l’apparence du détachement, ne peut être mis en évidence.
L’humilité ne consiste pas à se rendre modeste mais à reconnaître notre réalité fondamentale, faite de manque et de courage.
L’humilité est en totale opposition avec ce que l’on appelle « l’esprit du monde », qui caractérise la prétention, l’arrogance, le désir de paraître, de vouloir être plus haut placé que les autres, posséder davantage, dominer les autres, etc.