EMMANUEL LEVINAS
« Le visage d’Autrui serait le commencement même de la philosophie. »
« L’ordre du sens, qui me semble premier, est précisément celui qui nous vient de la relation interhumaine et que, dès lors, le Visage, avec tout ce que l’analyse peut révéler de sa signification, est le commencement de l’intelligibilité. Bien entendu, toute la perspective de l’éthique se dessine ici aussitôt. »
« C’est surtout à partir du Visage, à partir de la responsabilité pour autrui, qu’apparaît la justice, qui comporte jugement et comparaison, comparaison de ce qui est en principe incomparable, car chaque être est unique ; tout autrui est unique. »
« Dans la relation au Visage, ce qui s’affirme, c’est l’asymétrie : au départ, peu m’importe ce qu’autrui est à mon égard, c’est son affaire à lui ; pour moi, il est avant tout celui dont je suis responsable. »
« L’essentiel de la conscience humaine : tous les hommes sont responsables les uns des autres, et moi plus que tout le monde. »
« L’humanité de la conscience n’est pas du tout dans ses pouvoirs mais dans sa responsabilité. Dans l’obligation à l’égard d’autrui : c’est l’autre qui est premier. »
« Ce qui est important, c’est que la relation à autrui soit éveil ; que l’éveil soit obligation. »
« Comprendre une personne, c’est déjà lui parler.
Poser l’existence d’autrui en la laissant être, c’est déjà avoir accepté cette existence, avoir tenu compte d’elle.
« Avoir accepté », « avoir tenu compte », ne revient pas à une compréhension, à un laisser-être.
La parole dessine une relation originale.
Il s’agit d’apercevoir la fonction du langage non pas comme subordonnée à la conscience qu’on prend d’autrui ou de son voisinage ou de la communauté avec lui, mais comme condition de cette « prise de conscience ». »
« C’est en tant que prochain que l’homme est accessible. En tant que Visage. »
« L’humain ne s’offre qu’à une relation qui n’est pas un pouvoir. »
« Un être particulier ne peut se prendre pour une totalité que s’il manque de pensée. Non point qu’il se trompe ou qu’il pense mal – il ne pense pas.
Nous constatons la violence des individus. Nous cherchons un sens à cette violence : ces individus confondent leur particularité avec la totalité. Cette confusion n’est pas pensée, mais vie. Le vivant dans la totalité existe comme totalité, comme s’il occupait le centre de l’être et en était la source, comme s’il tirait tout de l’ici et du maintenant, où cependant il est placé ou créé. »
« Il ignore ainsi le monde extérieur. Non point d’une ignorance qui borde le connu, mais d’une ignorance absolue, par absence de pensée. »
« La pensée commence avec la possibilité de concevoir une liberté extérieure à la sienne. Penser une liberté extérieure à la sienne est la première pensée. »
« La particularité d’autrui dans le langage constitue l’humanisation de l’Autre. »
« L’accusé a, certes, droit à la parole. Mais c’est une parole avant la parole : l’accusé parle pour acquérir seulement droit à la vraie parole. On l’écoute, mais on le regarde parler. Il est accusé, c’est-à-dire déjà sous une catégorie. Il n’est pas interlocuteur dans la réciprocité. »
« Le respect est une relation entre égaux. »
« Etre, c’est participer. »
« Ici se révèle le sens du mot pascalien : le moi est haïssable. »
« Mon « au monde » ou ma « place au soleil », mon chez-moi, n’ont-ils pas été usurpation des lieux qui sont à l’autre homme déjà par moi opprimé ou affamé ? »
« Responsabilité pour autrui : visage comme signifiant le « tu es responsable de la vie de cet autre absolument autre », responsabilité pour l’unique. »
« L’obligation à l’égard d’autrui est infinie ; celui qui, sans s’interroger sur la réciprocité, sans poser de questions sur autrui à l’approche de son visage, n’est jamais quitte envers le prochain. »
« Un individu est autre à l’autre. Altérité formelle : l’un n’est pas l’autre, quel que soit son contenu. Chacun est autre à chacun. Chacun exclut tous les autres, et existe à part, et existe pour sa part. »
« La crainte de chacun pour soi, dans la mortalité de chacun, n’arrive pas à absorber le scandale de l’indifférence à la souffrance d’autrui. »
« Dans la rencontre du visage, on n’a pas à juger : l’autre, l’unique, ne supporte pas le jugement, il passe d’emblée avant moi, je suis en allégeance par rapport à lui. »
« La conscience, le savoir, la vérité et la sagesse dont la conscience est déjà la possibilité, seraient la spiritualité de l’Individu humain, l’humanité de l’homme, la personne dans l’Individu humain, source du droit de l’homme et principe de toute justification. Spiritualité qui signifie l’égalité entre personnes en paix.»
« La conscience de l’Européen n’est pas en paix, à l’heure de la modernité, essentielle à l’Europe, qui est aussi l’heure des bilans. Mauvaise conscience au terme de millénaires de la glorieuse Raison, de la Raison triomphante du savoir ; mais aussi au terme de millénaires de luttes fratricides politiques mais sanglantes, d’impérialisme pris pour universalité, de mépris humain et d’exploitation, de deux guerres mondiales, de l’oppression, des génocides, de l’holocauste, du terrorisme, du chômage, de la misère toujours incessante du tiers monde, des impitoyables doctrines du fascisme et du national-socialisme et jusqu’au suprême paradoxe où la défense de la personne s’invertit en stalinisme.
La raison a-t-elle toujours convaincu les volontés ? »
Emmanuel Lévinas Entre Nous Essais sur le penser-à-l’autre
Emmanuel Levinas (12 janvier 1906 – 25 décembre 1995) est un philosophe français d'origine lituanienne, né à Kaunas et naturalisé français en 1930. Il a reçu dès son enfance une éducation juive traditionnelle, principalement axée sur la Torah. Il a été plus tard introduit au Talmud par l'énigmatique « Monsieur Chouchani ». La Torah enseignée par Levinas est dérivée des leçons de Monsieur Chouchani.
Levinas a profondément été influencé par Edmund Husserl et Martin Heidegger, qu'il a rencontrés à l'université de Fribourg-en-Brisgau et dont il a introduit l'œuvre en France, notamment les Méditations cartésiennes de Husserl dont il a assuré la traduction. Son travail philosophique a également été marqué par la tradition juive, et par la condition juive elle-même, Levinas ayant été interné dans un camp de prisonniers de guerre juifs durant la Seconde Guerre mondiale.
L'enseignement philosophique d'Emmanuel Levinas est aujourd'hui mené notamment au sein de l'Institut d'études lévinassiennes, fondé en l'an 2000 par Benny Lévy, Alain Finkielkraut et Bernard-Henri Lévy.