PROFITER DE LA VIE
C’en est devenu comme un impératif, une injonction.
L'homme moderne, qui baigne dans le toujours plus et les excès, est sommé de profiter.
A tout prix.
De tout, de rien.
De son bonheur immédiat.
De sorte que, presque à son corps défendant, il en redemande, tout excité qu'il est à désirer, mais pas seulement : à se satisfaire, à consommer.
On peut l'accepter, le déplorer, le combattre, l'homme moderne vit dans le règne de la plus-value et de la montée de l'excitation qui accompagne cette quête de la plus-value.
Le psychanalyste Charles Melman l'a décrypté, qui, dans un livre d'entretiens avec l'ancien président de l'Association freudienne internationale, Jean-Pierre Lebrun, a brossé un portrait de l'homme occidental de ce début de siècle (L'Homme sans gravité) :
"Sans boussole, sans lest, affranchi du refoulement, moins citoyen que consommateur, un "homme sans gravité"."
Un homme sans colonne vertébrale.
Un homme qui plie au premier coup de vent.
La "santé mentale" relèverait aujourd'hui "d'une harmonie non plus avec un idéal mais avec un objet de satisfaction".
On ajoutera "immédiate".
Vouloir tout, tout de suite, ici et maintenant, en abondance.
Et, sur ce registre, on entrevoit les dégâts quand la satisfaction n'y est pas - ce qui, somme toute, est assez souvent le cas.
Dans la civilisation marketing, qui oriente les pulsions sur tout un tas d'objets de jouissance (un service, un produit, une promotion), le pousse-à-la-consommation pousse inéluctablement à la frustration.
Tout cela donne les états dépressifs (et la consommation d'antidépresseurs) que l'on sait.
Et, comme rien ne se perd, cela donne aussi, en marketing, cette nouvelle veine des marchés dits de la "compensation émotionnelle".
Cette tendance qui fait, par exemple, téléphoner ou envoyer des SMS pour ne rien dire, si ce n'est... ses frustrations.