RENCONTRER L'AUTRE
Nous vivons une époque très paradoxale : " rencontrer l’autre ", jamais on a autant parlé de l’autre.
Après le " Je pense donc je suis ", tout à coup, survient l’autre que l’on veut reconnaître.
Il y a en réalité de moins en moins de place pour l’autre dans un monde toujours plus uniforme.
Cela vient du fait que l’impératif que chacun veut suivre est " être soi même ". Plus chacun veut être lui même, plus nous vivons sous l’empire de l’indistinction.
Nous vivons des temps étranges, où chacun est tellement plein de soi-même que la possibilité même de rencontrer l’autre ne se fait pas.
Pour qu’une véritable rencontre se fasse il faut qu’on sente un sentiment d’insuffisance.
La rencontre n’est possible que si j’existe en m’oubliant.
Et l’autre me reçoit que si, je m’oublie suffisamment pour que mon attention se porte vraiment sur lui. Si je fais attention à ce qu’il est et à le découvrir pour ce qu’il est, si je m’intéresse à lui, c’est à ce moment que je suis capable de le rencontrer.
Si c’est réciproque, si l’autre a la même attitude, l’attitude de disponibilité, ce double regard fait qu’il y a une vraie conversation.
Le tout est de savoir à quoi vous êtes attentif : à vous-même par rapport à un autre, ou est ce que l’autre mérite d’être totalement écouté, au point que vous n’ayez pas l’impression de perdre votre temps.
Le véritable intérêt, au sens d’attention, suppose le désintéressement par rapport à soi.
Ce n’est pas de l’entraînement, c’est une lutte. Un exercice de notre liberté, non plus vers nous-même mais vers l’autre. Ainsi nous trouvons, précisément dans cette attention, une vraie joie.
Bien sûr la rencontre est un risque Il n’y a pas de recette, mais ce qui devrait être le coeur de tout apprentissage c’est apprendre à se quitter.
Le mot qui est au coeur des choses, c’est le mot " attention " (essentiel à la philosophie de Simone Weil).
Ce qui est sans cesse donné à l’expression est perdu pour l’attention " un peu moins d’expression, un peu plus d’attention ".
Voilà ce que nous devons les uns aux autres et c’est le préalable à la rencontre !
Le sommet de la rencontre, c’est quand on accepte la gratuité absolue, non pas de ce que l’on donne mais de l’attention que l’on porte à l’autre.
L’étrangeté de l’autre, loin de nous dérouter, peut être accueillie avec bienveillance.
Ainsi rencontrer l’autre, c’est accepter de comprendre ce qu’on ne comprend pas et de voir l’autre pour ce qu’il est.
C’est accepter cette bienveillance sur quelqu’un qui ne vous en saura aucun gré.
A ce moment là nous ouvrons une porte sur une autre relation humaine, même si l’autre ne le sait pas.
Rencontrer l’autre c’est prendre le risque d’être changé par lui.
Oui, c’est un risque, être entraîné au-delà de soi. C’est finalement le signe d’une rencontre réussie que d’avoir été changé par elle.
Rencontre d’un être, c’est ce qui fait que nous ne sommes pas tout à fait le même quand nous en sortons.
Une personne, c’est quelqu'un qui tout d’un coup vous fait percevoir le monde autrement, disloque les évidences dont vous êtes porteur et à laquelle vous êtes reconnaissant du changement qu’elle opère.
C’est par l’autre qu’on ne fait pas du sur place.