PARADOXE DE L’OBÉISSANCE
L’obéissance a quelque chose d’étrange.
Rien n’est plus honni et rien n’est plus communément admis.
Allez parler d’obéissance dans l’entreprise.
Ce sera un tollé !
Officiellement, la chose n’existe pas.
On veut bien admettre des « devoirs » mais en réponse stricte à des « droits », des « acquis » et bien encadrés par des « lois ».
Il peut donc y avoir discipline, conformité au consensus, mais beaucoup plus dans un climat de contrainte et en matière de « compromis » qu’au nom de ce qu’on ne tient pas à appeler, du moins spontanément, l’obéissance.
Une fois dépassé le stade de l’élève et de l’enfant à qui on peut encore en parler vis-à-vis des maîtres et des parents, le propre de l’adulte est de s’en affranchir.
L’étonnement rebondit quand on voit combien, même si le terme n’est guère admis, du moins la réalité de ce qu’il faut bien se résoudre à appeler obéissance est universellement présente.
On obéit aux horaires, aux itinéraires, aux feux mis en place à tous les carrefours.
On obéit aux lois de la profession, de la concurrence, des marchés.
On obéit aux idées à la mode, à la mode tout long ou tout court, aux conventions sociales, à l’air du temps et au menu du jour.
On obéit aux programmes scolaires, universitaires, aux directives administratives, aux consignes de sécurité.
On se soumet au droit privé, au droit public, au droit du travail.
Le monde de l’anarchie lui-même se plie aux « lois du milieu » et ceux qui seraient encore au-dessus des lois, parce que les édictant ou les bafouant, obéissent aux lois d’une existence pour laquelle on n’a pas choisi de naître et au terme de laquelle on ne peut pas se dispenser de mourir.
Au moins ce jour-là, il faut bien obéir !
Quel surprenant paradoxe : l’homme ne veut obéir en rien et voilà qu’il obéit en tout !
Où est donc la vraie liberté ?
Où est la vérité ?
Pourquoi, d’un côté, cette réticence générale poussant au rejet ?
Et pourquoi cette soumission, au bout du compte si universellement acceptée et si facilement (si sottement même parfois) consentie ?
Un regard psychologique porté sur ce même phénomène peut-il aider à avancer ?
Nous voyons que obéir, qui vient de ob-audiere, suggère l’écoute de l’oreille tendue.
Or, l’oreille est le seul sens de l’homme à rester toujours ouvert.
On peut fermer la bouche, les yeux, les narines, les mains, en les empêchant de goûter, de voir, de respirer, de saisir.
Mais, d’elles-mêmes, les oreilles restent toujours ouvertes !
Elles sont incessamment en attente et comme en état d’alerte.
C’est comme si la situation d’écoute était inhérente à l’homme.
N’y aurait-il pas, dans cette attitude naturelle, comme l’arrière-fond, l’arrière plan de la vraie liberté ?
La vérité enfin, c’est que l’homme n’est pas seul.
Même s’il est individu, et mieux encore personne, il n’est pas seul.
Il n’existe pas dans le « je » qui s’affirme en s’opposant ou en écrasant, mais dans le « nous » qui se construit et s’édifie en s’unissant.
Sur un autre plan, on peut être amené à relever des risques réels de déviation par rapport à une attitude d’obéissance mal vécue ou de refus d’obéissance mal comprise.
On peut ainsi noter, par exemple, un instinct désordonné d’affirmation de soi.
Il y a en tout homme « une volonté de puissance ».
Celle-ci, au demeurant, est souvent fondée sur une angoisse d’être.
L’agressivité, la soif d’autonomie, le refus de toute écoute sont souvent signe d’inquiétude.
Cette fuite, finalement emprisonnante, dans l’indépendance peut alors amener à une opposition systématique à toute forme d’autorité.
Pourquoi courir après l’illusion de pauvres autonomies et de petites indépendances ?
Que serait donc à ce stade une obéissance paisible, libérée, confiante et qui pourrait corriger ce travers et briser cette résistance ?
On peut également relever un instinct excessif de peur et de défense conduisant finalement à un incessant repli sur soi par crainte de sortir de soi : l’homme vit en dedans. C’est le solipsisme et l’enfermement.
Pour se protéger, l’homme s’affaiblit.
Pour se préserver, il s’appauvrit.
En croyant se grandir par lui-même, il se rapetisse.
Inversement, il faut mettre en garde contre un instinct de soumission.
Il y a souvent en l’homme comme un recul viscéral en face des responsabilités ou des difficultés.
Il peut alors se réfugier dans une obéissance servile qui relève plus de l’apathie que de la docilité.
Quitte à prendre à son aise en contournant les obstacles, en évitant les heurts, il peut alors plonger dans l’amollissement d’une vie où l’on consent médiocrement à tout, mais sans vraiment obéir à personne ni à rien.
Comment obtenir une obéissance vraie, pleinement acceptée ?
Un manager doit tout à la fois allier fermeté et douceur, exhorter et corriger.
Il ne sera jamais facile de bien manier encouragements et reproches, de conduire tout un ensemble en se pliant aux tempéraments et aux caractères de chacun.
Mais une même discipline doit être appliquée à tous.
Le pire ennemi du bien commun n’est-il pas l’abdication ou la démagogie ?
Voir également :
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