EDITH STEIN : INTERIORITÉ ET ALTÉRITÉ
« C’est la vie intérieure qui est le fondement ultime : la formation se fait de l’intérieur vers l’extérieur. »
(« Source cachée » de Edith Stein)
C’est dans la liberté que réside la possibilité d’un avènement de la personne.
Or, l’homme est d’autant plus libre qu’il s’achemine vers son propre centre.
Ce pouvoir, dont l’homme dispose, de faire chemin en direction de son intériorité la plus profonde témoigne au plus haut point de sa liberté et d’accéder ainsi à une existence authentique, pour reprendre un terme heideggerien.
Ce point le plus profond est en même temps le lieu de la liberté : le lieu où on peut rassembler tout son être et décider.
C’est depuis ce centre de l’intériorité que monte la voix intime de la conscience.
Pour Edith Stein, seule une écoute intense de la conscience permet à l’homme d’accueillir les véritables motivations qui sont à la racine d’un agir libre.
Faire effort vers le centre de son être, c’est accéder à la possibilité de saisir des motifs susceptibles de guider la volonté.
S’interrogeant sur la liberté, Edith Stein examine la nature des motivations qui guident l’agir. A partir de là, elle est conduite à considérer que l’homme est d’autant plus libre, autonome, que son agir émane d’une nécessité intérieure, procède d’une intention qui s’élève du plus profond de l’être et s’actualise dans l’acte de la décision.
C’est donc en se conformant volontairement à de tels motifs que le sujet conscient se libère de la pression des automatismes et conditionnements qui limitent sa liberté.
Loin d’être coupée du réel, cette compréhension de la liberté en rapproche étonnamment dès lors que l’on admet que ce n’est qu’à partir de sa plus profonde intériorité, à la condition d’un tel enracinement intérieur, que l’homme devient capable d’accueillir « le monde avec intelligence ».
L’exigence éthique impose à toute vie personnelle d’avoir à se référer à son intériorité comme à cette source où prennent racine de libres décisions.
Plus la vie d’un homme est concentrée dans cette intériorité la plus profonde, plus ce rayonnement qui émane de lui et attire d’autres personnes dans son sillon est puissant.
Edith Stein nous livre ici sans équivoque le secret de tout rayonnement : l’enracinement de la personne dans son intériorité.
Selon Edith Stein, la conversion en faveur de l’intériorité n’est pas fuite. Elle est au contraire la condition de l’ouverture authentique au monde et du service d’autrui.
L’approche qu’Edith Stein nous propose de l’intériorité de la personne nous permet d’accéder à une compréhension éthique du management.
La connaissance de soi - une connaissance qui va jusqu'à la plus grande profondeur possible - se présente comme une exigence éthique puisqu’elle concerne la conduite de la vie.
Instruire le rapport à l’intériorité sur le mode de la liberté, c’est admettre que l’intériorité engage en quelque sorte la responsabilité humaine.
Pour entendre le sens de cette affirmation, il faut se souvenir que pour Edith Stein l’intériorité mérite d’être envisagée comme « ce fond intime qui a été donné à l’homme », c’est à dire comme ce trésor dont chacun est dépositaire, mais non propriétaire.
Mais cela implique encore davantage : à savoir que chaque homme se considère responsable de son semblable et au service de sa dignité. Or cela n’est possible qu’à la condition de ne pas perdre le vue le « bien précieux » que constitue le mystère de l’intériorité en chacun.
A ce titre, les travaux et l’engagement d’Edith Stein sont une très belle expression de ce souci de l’autre et de son intériorité qui sont précisément le trésor confié à la responsabilité du manager.
Une ouverture à l’autre est précieuse pour toute personne désireuse de se connaître elle-même.
Non seulement la prise en compte de la perspective de l’autre enrichit sa vision du monde, mais également celle que l’on a de soi-même en permettant de s’appréhender avec plus de justesse et d’objectivité.
La relation managériale se construit toujours sur la base d’un profond respect de la personne humaine qui se nourrit, pour le manager, de la conscience du trésor incommensurable que représente l’intériorité de chaque personne qui lui est confiée.
En s’inspirant d’Edith Stein, le manager est celui qui est conscient d’être placé devant le mystère d’une autre conscience. Il sait qu’en s’adressant à une conscience, c’est à dire au foyer d’un jugement et d’une liberté, il est au contact de quelque chose d’essentiel : de cet espace intérieur inviolable où se joue le rapport à soi-même, aux autres et à la vie.
Et c’est également dans cette profondeur qu’est inscrite la vocation unique « qui distingue un homme des autres hommes, singularisant chaque existence et donnant à chacune une responsabilité propre ».
En s’inspirant également d’Edith Stein, on peut extrapoler qu’une des missions du manager est précisément d’être attentif à l’unicité de chaque personne, de l’accueillir et d’en seconder le développement.
Reconnaître que l’on ne peut rentrer en contact avec celui qui lui est confié qu’à la condition de l‘aborder comme une personne correspond en réalité à une très haute exigence.
Si le manager cherche ce contact de personne à personne, il ne peut espérer y parvenir que s’il est lui-même enraciné dans son plus profond.
Si, comme le pense Emmanuel Levinas, la responsabilité est ce qui s’impose à soi à la simple vue du visage d’autrui, alors ont peut dire que la vision d’Edith Stein est toute entière habitée par cette prise en vue du visage unique de l’autre.