ÉLOGE DE L'ÉTHIQUE
L’éthique, tout le monde en parle, c’est à la mode, çela fait vendre.
Pourtant quand il s’agit de passer du discours à la réalité effective, bien des réticences se font jour, insignifiance pour les uns, « l’éthique, pas la peine d’en parler, tout le monde sait faire, à l’instar de M. Jourdain qui sait faire de la prose ».
Danger pour les autres : l’expertise éthique pourrait avoir une prétention de vérité, d’exigence, de remise en cause.
Mais… « seuls les poissons morts vont toujours dans le sens du courant… »
Les vivants, eux, apprennent et choisissent où ils veulent aller.
Ainsi l’éthique peut être, par la justesse de sa parole comme de sa mise en oeuvre, un chemin de tolérance, un chemin de vie, et de vérité de l’humain.
Notre société est complexe et pluraliste, belle mais aussi déconcertante parfois.
Les nouvelles technologies promettent beaucoup mais tout cela humanise-t-il ?
De nouveaux chemins s’ouvrent, franchissant des frontières jusque là inconnues et menant vers de nouvelles contrées.
Parler d’éthique c’est alors parler de passeurs.
Non pas des porteurs de certitudes qui disent où il faut aller et comment s’y prendre exactement.
Mais des passeurs qui fournissent une carte, une boussole ou un GPS, et qui accompagnent c'est-à-dire mangent avec l’autre le pain du chemin.
La carte, elle permet de lire notre société, et l’interdisciplinarité éthique en fournit des approches variées, cartes sociologiques, juridiques, médicales, philosophiques, etc.
Les repères, les valeurs, la dignité de tout être humain, permettent de signaler une route ; de baliser un chemin, d’éviter de s’égarer ; à deux conditions cependant :
- d’abord, de rester en contact avec le réel, même et justement parce qu’il est éminemment complexe.
Des repères purement théoriques ne sont que spéculation dans le vide.
Le risque est de planer, de s’évader dans un monde purement virtuel. Comme l’a écrit Xavier Thévenot, « Toute recherche éthique, si elle ne veut pas s’enfermer dans un ciel de principes (…), doit se confronter aux tendances profondes, complexes et multiples de la société dans laquelle elle s’élabore. ».
Mais « le risque qui guette alors est de devenir un prophète de malheur, sensible aux seules déviances sociales et s’enfermant dans un discours purement pessimiste sur «le monde»... »
- Ensuite, et c’est la même logique, il faut savoir où l’on veut aller, quel but l’on se fixe ; mais quand notre société relègue les racines dans la sphère du privé, propose-t-elle encore des étayages de sens, des panneaux indicateurs ?
Car si l’on ne sait pas où l’on doit aller, le foisonnement de repères ne fournit aucune indication, au contraire.
Le voyageur n’a plus alors sous les yeux qu’un enchevêtrement de panneaux qui n’indiquent plus.
Et il entre dans la nuit.
L’éthique n’a pas le secret du jour, mais elle le pointe du doigt comme la lumière au bout de l’horizon, grâce à ses outils propres. Grâce au langage, ce médium culturel, dans quoi et par quoi le sujet est institué et le monde montré.
Ce langage qui permet de parler, d’argumenter, de partager des points de vue.
Grâce aux analyses rigoureuses du réel dans ses différentes facettes.
Grâce au désir, désir d’humanisation, d’accomplissement, désir d’authenticité, de vie plus forte que la mort et le néant.
Et une vie qui a du sens s’élève et élève le monde.
« Que fais-tu là ? », demande un sage à des ouvriers peinant dans une carrière sous la chaleur du jour.
Le premier lève vers lui un regard morose et déclare : «Tu le vois bien, je casse des pierres» ; le second le regarde avec une certaine fierté : «Tu le sais, je gagne ma vie». Le troisième, les yeux pleins de lumière, lui dit : «Ne le devines-tu pas ? Je bâtis une maison où hommes et femmes pourront vivre ensemble, s’aimer, rendre grâces. »
L’éthique en se donnant comme objectif l’humanisation des personnes ne sait pas tout, mais elle stimule ce désir de faire bien, de faire au mieux, de faire advenir des sujets libres, responsables, autonomes, vivants, malgré les coups du boutoir du réel.
Car l’éthique n’est pas naïve, elle a d’ailleurs souvent les mains sales à force de tripoter la complexité situationnelle, mais comme disait Péguy, il vaut mieux avoir les mains sales que pas de main.
Car l’éthique n’est pas prétentieuse : l’humus de son action la tire vers cette humilité qui s’évanouit dès lors qu’on prétend la détenir.
Car l’éthique n’est pas austère, son humour apporte légèreté parfois jusque dans le tragique, contribuant ainsi à le traverser pour aller de l’avant malgré tout.
L’éthique, en définitive ?
Un chemin de passage pour passeurs d’humanité.
Un chemin de vie pour susciter la vie.