MOBILITÉ
Depuis deux siècles - l'aube de la révolution industrielle -, le monde est exponentiellement saisi d'un mouvement brownien. Sous l'œil d'un "macroscope" (le mot avait été inventé par Joël de Rosnay), il apparaîtrait tout traversé de particules agitées, grouillantes, imprévisibles.
Brownien, donc.
Les mobilités - des biens, des personnes, des entreprises - sont une marque des temps. Elles ne sont pas que la somme des déplacements physiques, mais la composante d'une pensée nouvelle qui imprime un nouveau rapport social au changement de lieu. Elles peuvent être virtuelles.
Elles vont de pair avec la contraction du temps, la dilatation des territoires, la généralisation du mouvement.
Elles s'arriment au culte de la vitesse, à l'accélération du changement.
Elles signent la fin des routines, la multiplicité des choix, le primat de l'incertain.
La société des hommes change aujourd’hui à une vitesse folle.
On peut comprendre ainsi la plus grande fragilité de l’homme moderne.
L'aventure humaine a quelques millénaires, mais le feuilleton a soudain changé de rythme et s'est emballé.
Alors que tout paraissait traîner d'une langueur monotone, en deux cents ans, le produit intérieur brut de la planète a crû de 5 000 %, la population de 500 %.
En cinquante ans, le nombre de véhicules en circulation dans le monde est passé de 50 à 800 millions, le trafic aérien a été multiplié par 50. Plus ancien, le ferroviaire a doublé.
Dans le même temps, l'usage du téléphone s'est envolé, la télévision, puis Internet sont nés.
Portées par la mondialisation des échanges et des systèmes de production, les mobilités ont transformé l'individu et le lien social, ainsi que les espaces urbains.
L'actualité en surligne incessamment la face sombre : bruits, pollution de l'air, embouteillages, paysages défigurés…
Le sociologue Danilo Martuccelli a aussi relevé l'impact de la mobilité généralisée sur le prestige social, dont elle serait devenue l'un des indicateurs. Par sa surmobilité, l'individu hypermoderne réaliserait "un fantasme d'ubiquité", confinant à la toute-puissance.
"Dans un univers où l'espace cesse en quelque sorte d'être une limite incontournable à l'action et à la communication, le signe majeur de reconnaissance, sous l'emprise de la mobilité généralisée, devient la coprésence physique."
Dans un monde où l'accès à distance s'est banalisé, c'est un peu comme si l'on signifiait : si je viens te voir, c'est que cela est important.
La mobilité crée donc de la valeur.
Et à la Bourse des comportements, la rencontre en face-à-face a sa surcote.
Certains, à la mobilité aisée, sont plus riches que les autres.
Et certains autres, sensibles aux inégalités, s'en inquiètent.
La proximité du manager devient ainsi une valeur sûre.