L'ÉTHIQUE AU SERVICE DU MANAGEMENT
On dit communément que pour motiver un salarié il faut mettre en évidence le gain qu’il peut escompter. On se fait plutôt une représentation matérielle de ce gain. Cette approche, sans doute vraie, est cependant insuffisante au vu de ce qu’est devenue l’entreprise et de l’évolution des aspirations des salariés.
N’est-ce pas aussi le sens qu’elle pourra y trouver qui peut motiver une personne dans l’entreprise ?
L’entreprise n’a jamais été aussi exigeante vis-à-vis des salariés. Le défi qu’elle leur lance est considérable. Elle les oblige :
¨ à puiser dans leurs ressources personnelles pour trouver la force de s’impliquer, sachant que les visibilités offertes sont faibles ;
¨ à faire attention aux conséquences de leur comportement, emprunt d’idéaux et de conceptions particulières, sur les autres. Jamais sans doute l’influence de chacun n’a été aussi importante pour le bien-être ou le malaise des autres !
¨ à ne pas tomber dans un excès d’individualisme subordonnant trop l’engagement dans l’entreprise au "chacun pour soi". Dans les situations de travail complexes et aléatoires, la tentation peut être grande de se replier alors qu’il faudrait au contraire redoubler d’implication et de sens collectif !
L’engagement demandé aux salariés est de plus en plus global. Distinguer le professionnalisme et la personne est devenu artificiel. La généralisation de l’approche du professionnalisme à travers la notion de compétence en dit long sur cet état de fait.
Dès que l’on parle des compétences d’une personne, les qualités techniques, les qualités personnelles se confondent.
Le salarié qui veut maintenir sa compétence doit élargir le domaine de sa technicité, et peut-être surtout, développer ses qualités humaines et relationnelles.
Réunir les conditions d’un engagement professionnel ne consiste pas simplement à accumuler de la technicité mais aussi et surtout à mettre en concordance ses activités professionnelles avec son projet personnel, à s’interroger sur son comportement vis-à-vis de ses collègues, à trouver un sens à s’investir dans l’entreprise.
Cependant, ce que l’entreprise attend de ses salariés n’est pas arbitraire. Elle conditionne sa performance. L’entreprise n’a jamais été aussi tributaire de la qualité du comportement de chacun de ses membres. Cette approche éthique part de l’individu.
L’éthique, telle que nous allons la développer, aide à construire une assise qui évite le seul individualisme ou les recherches d’entraides uniquement corporatistes. Elle constitue une des conditions de cette fameuse confiance à laquelle tout le monde aspire.
Dans le cadre de la vie en entreprise actuelle, l’éthique constitue une ressource stratégique pour trouver une force de motivation qui concilie développement personnel et performance de l’entreprise.
Au cours des trente dernières années, nous sommes progressivement passés d’une entreprise qui laissait peu de place à l’individu à une entreprise qui en fait le pivot de sa réussite. Cette nouvelle condition faite aux salariés s’exprime par la grande qualité de conduite professionnelle et personnelle qui est attendue d’eux. Elle se met en place avec de nombreuses tensions et contradictions. Les salariés sont mis dans des positions d’autonomie et de responsabilité qui répondent à leurs aspirations mais sont lourdes à porter. L’éthique vient au service de cette nouvelle condition salariale.
Un développement éthique en situation de travail peut être un levier d’estime de soi, de confiance et d’engagement sensé dans l’entreprise.
L’interactivité et l’importance du relationnel
La capacité à s’intégrer dans des systèmes de relation, mais aussi à les promouvoir et à les développer, est devenue un levier clé du professionnalisme. Cette capacité relationnelle est non seulement indissociable de la technicité mais tend à en devenir une condition nécessaire.
Cet aspect relationnel est omniprésent dans l’entreprise. Dès l’entretien d’embauche, il est au cœur des préoccupations de l’entreprise. Ainsi, pour les professionnels dûment qualifiés techniquement, qui sont nombreux et en concurrence, l’entretien d’embauche portera peu sur la technicité, mais ce sont les capacités relationnelles qui seront sondées.
Ce critère du relationnel n’est pas seulement un moyen pour des candidats de faire la différence, il est de plus en plus reconnu et recherché comme constitutif du professionnalisme.
Réactivité et capacités relationnelles sont liées.
Il faut prendre la mesure de ce que représente ces défis relationnels de nos jours. Le temps est révolu des traditions de solidarité générées par des équipes homogènes.
Désormais ce sont des individualités, avec des parcours et des aspirations différenciés, qui doivent inventer des formes de coopération.
Le temps est également lointain où l’encadrement de proximité décrétait et imposait ses solutions.
Le traitement des problèmes suppose désormais des processus qui suscitent l’adhésion.
L’entreprise performante se mobilise pour satisfaire les besoins de ses clients.
A l’entreprise cloisonnée et verticalisée fait place l’entreprise centrée transversalement sur la satisfaction de ceux-ci. Le client n’est pas seulement le client externe ou final, c’est aussi le collègue ou le service qui attend une prestation répondant à ses propres besoins.
L’image de l’entreprise comme une chaîne où chacun est un maillon met en évidence cette interdépendance. La difficulté à se centrer sur les besoins des autres affaiblit la chaîne. Ce qui est techniquement bon pour soi n’est pas nécessairement l’optimum pour celui qui est destinataire de cette activité.
La relation client/fournisseur suppose cette capacité à se décentrer pour agir en se mettant à la place de l’autre.
Dans cette logique, certaines entreprises reconfigurent leur organisation afin de s’assurer que les prestations individuelles constituent bien une valeur ajoutée maximum par rapport à leur destinataire interne et du client final. Dans ces entités ayant fait l’objet de reingeniering, l’interdépendance est extrême.
Cette interdépendance ne peut pas être complètement régulée par des procédures, des contrats ou par les périmètres d’action définis par les postes de travail.
Les ajustements et les régulations s’opèrent par le relationnel, la disponibilité, l’accueil, l’amabilité, l’écoute, l’aide « après vente ».
Au quotidien le travail d’équipe est bien souvent devenu la modalité principale des activités.
Générer et maintenir une compétence collective est une tâche difficile.
Il faut s’assurer que les rôles optimisent la motivation. Il ne peut y avoir d’un côté ceux qui pensent et qui ont les tâches nobles, même s’ils sont hiérarchiques, et de l’autre les exécutants. Les opérateurs exigent leur part de pouvoir et de responsabilité comme condition de leur propre motivation.
Les équilibres sont constamment remis en question. Au-delà des descriptifs de poste et des contrats, la régulation relationnelle a un rôle primordial. Elle seule permet, par la discussion, l’échange, l’écoute réciproque, de construire cette efficacité collective qui est la somme des compétences individuelles.
Le cas des experts
L’expertise pourrait être la filière qui échappe à cette omniprésence du relationnel. Pourtant l’expert ne pouvant plus par lui-même détenir l’état de l’art de son domaine, sa compétence tient aussi à sa capacité à pouvoir solliciter un réseau. Ce réseau ne se constituera pas spontanément. Il supposera de la part de l’expert une capacité minimum à jouer le jeu du « don et du contre-don » qui font vivre les réseaux.
La portée du comportement sur les autres
L’autre est d’abord rencontré, dans l’entreprise, comme un instrument ou une ressource nécessaire à l’accomplissement de son propre travail.
Dans ce contexte peut-on faire l’économie d’une interrogation sur la portée du comportement sur l’autre ?
Ne doit-on pas être vigilant dans toutes les circonstances qui amènent à réduire l’autre à une utilité ? Où se situe la frontière entre les décisions nécessaires à l’intérêt de l’entreprise et ce qui devient de l’indifférence ou du mépris de l’autre ?
A quelles conditions est-il envisageable d’aborder l’autre avec le même souci que nous avons de nous-mêmes ? Comment faire qu’à un développement de soi corresponde une possibilité au moins identique de développement de l’autre ?
Intellectuellement on peut se mettre d’accord sur l’importance de ce que chacun doit aux autres. Si nous étions cohérents, ne devrions-nous pas agir dans le sens de l’ouverture à l’autre ? Pourtant les pratiques sont loin d’en être là. Comment édifier un rapport aux autres qui réduise ces contradictions ?
La qualité des relations est tributaire de la façon dont chacun construit son rapport à l’autre.
Cela amène à l’aspect éthique du comportement.
L’approche éthique
L’approche éthique considère que l’idéal de ce qu’il est bon de faire procède d’une construction personnelle. Cet idéal de ce qu’il est bon de faire s’enracine dans la recherche par chacun d’une vie heureuse. Alors que la morale recherche la conformité, l’éthique est plus une élaboration dans laquelle chacun cherche à développer le meilleur de lui-même. La tradition philosophique aristotélicienne représente cette approche éthique.
La démarche éthique correspond à un mouvement d’élaboration plus personnel, plus pragmatique aussi, où peuvent se concilier, et non pas se neutraliser, un mouvement d’amélioration de soi et un mouvement d’amélioration de sa performance au travail.
Le rapport éthique aux autres et la confiance
Le rapport éthique aux autres correspond à ce questionnement par lequel l’individu se préoccupe de son comportement envers les autres.
En situation de travail, le fait d’inspirer confiance peut être le fil conducteur pragmatique d’une construction de son rapport aux autres. Quelle sérénité lorsque la confiance est au rendez-vous !
Le geste éthique constitue ce moment où, alors qu’il va s’immerger d’une manière technicienne dans l’action, l’individu l’éclaire et la subordonne à une autre dimension, beaucoup plus subjective et personnelle. Le cadre de référence de cette dimension n’est plus seulement le résultat opérationnel direct à obtenir mais aussi un questionnement à la fois plus global et plus personnel de l’action dans son rapport à soi, aux autres et à l’entreprise.
Le geste éthique élève l’exigence de qualité de l’action.
La logique technicienne et la logique éthique
L’approche éthique invite à une construction plus exhaustive et plus exigeante de l’action dans l’entreprise. L’action y répond à une double finalité, celle de la résolution des problèmes opérationnels, c’est la finalité technicienne, et la finalité éthique qui la réfère et la soumet à une intériorité porteuse de l’exigence d’évaluer ce qu’elle vaut pour soi, pour les autres et pour l’entreprise.
L’éthique de la responsabilité correspond à une approche où le responsable essaie de prendre en compte, dans ses décisions, les effets de ses actions. Il est ainsi amené à s’appuyer sur ceux qui sont potentiellement concernés par ses décisions, pour anticiper avec eux les effets qu’elles vont avoir.
Produire du sens
Le rapport éthique à l’entreprise consiste à se construire un comportement à travers lequel nous influençons l’entreprise pour qu’elle se développe comme institution, c’est-à-dire produise une sociabilité digne de notre époque, respecte et génère des valeurs qui « réenchantent la vie collective ».
Le sens est au bout de cette conduite personnelle ; il en est l’aboutissement et non le préalable.
La production du sens, par chaque salarié, est une condition déterminante pour s’impliquer dans des entreprises en perpétuel changement et dont l’objectif premier doit être le résultat.
Produire du sens, c’est avoir trouvé un rapport positif à l’entreprise.