PETITE ANTHROPOLOGIE DE LA SOCIÉTÉ FRANCAISE (5)
Vous trouverez ci-dessous une synthèse des articles que j’ai déjà publiés sur notre société contemporaine, sur le monde qui nous entoure.
Ce monde qui se présente comme un grand chantier, ce monde où se mettent en application les découvertes des sciences, les progrès de la civilisation, ce monde est incapable de rendre l’homme vraiment heureux.
Autour de nous, de nombreuses personnes se plaignent de plus en plus de mal-être, de souffrance, d’épuisement.
L’origine de ce malaise vient que nous nous reposons pour résoudre nos difficultés sur nos propres forces. Comme si on pouvait à soi seul, faire face à l’immensité de sa tâche.
Il me semble également qu’aujourd’hui, c’est le sentiment de n’être pas reconnus, de n’être comptés pour rien qui fait désespérer beaucoup de gens.
Dans cette anthropologie de la société française, nous tenterons d’analyser les causes de ce malaise.
Certains articles peuvent paraître redondants, mais ils ont été rédigés sur un an, en fonction de l’actualité : le lecteur voudra bien me pardonner.
UNE SOCIETE DE LIBERTE ?
Il faut inverser nos jugements sur la société libérale. Jamais sans doute autant qu’aujourd’hui, la société française n’a été aussi impérative.
Naguère de bons esprits ironisaient sur la tradition et ses contraintes. Il serait facile de retourner aujourd’hui le compliment sur le mode d’une liste sans fin d’obligations nouvelles : vaccinations, ceinture de sécurité, assurance automobile, passage piétons, mutuelle, prélèvements...
Chacun pourra compléter cette liste, sans omettre d’y ajouter les contrôles de plus en plus drastiques sur le tabac, l’alcool...
A côté de tous ces impératifs, la société de la tradition avec tous ses interdits fera bientôt figure de paradis de la liberté individuelle.
Parce qu’ils sont nés à la jointure de deux époques, les Français qui avaient vingt ans en 1968 ont eu l’impression qu’ils inventaient la liberté. Mais celui ou celle qui a écrit sur les murs de Paris, à cette époque là, « Il est interdit d’interdire » n’avait sans doute pas pensé que son slogan avait un corollaire.
Aussi étonnant qu’il paraisse, voici ce corollaire inévitable : « Il va donc devenir obligatoire d’obliger ! »
C’est à ce point que nous sommes parvenus.
La société a cru jeter ses interdits aux orties.
En réalité, elle n’a fait que multiplier et renforcer les obligations.
En particulier les obligations de performance, notamment économique.
Nous n’avons pas vraiment gagné au change.
Nous sommes en train de créer un monde où rien ne sera permis, hormis ce qui sera obligatoire.
Il est assez piquant de noter cette contradiction de notre société : c’est la modernité qui nous impose toutes ces obligations, sous couvert de liberté.
Pourquoi les individus qui, paraît-il, font ce qui leur plaît, veulent tous les mêmes jeans, les mêmes baskets, les mêmes lessives, les mêmes voitures, en un mot « les mêmes choses » ?
Nous allons tous dans les mêmes magasins acheter les mêmes produits.
Comment ne voit-on pas que cette société, prétendument libérale, a réussi a créer chez tous les assujettis à ses lois un unique réflexe : « Il faut faire comme tout le monde ! » Tous les Parents qui ont à discuter avec des adolescents savent bien le poids de ces impératifs de la mode.
Tous les témoignages, sur ce point, concordent. S’il est vrai que naguère il fallait beaucoup de personnalité pour oser se démarquer de l’ordre qui régnait, il en faut aujourd’hui beaucoup plus à des jeunes pour oser affirmer des idées personnelles.
Tout se passe comme si l’effacement des interdits antérieurs avait laissé place à la condamnation muette, mais terriblement plus efficace, envers ceux qui ne se résolvent pas à penser comme tout le monde.
Le conformisme plat fait la loi, au rythme des effets de mode véhiculés par les médias.
L’homme moderne vit en surface de lui-même, de plus en plus délibérément, comme dans une fuite en avant.
Il prône des idéaux extérieurs, des comportements superficiels ou narcissiques, une existence dénuée de sens profond, où le factice devient souverain, où le temps n’est plus vécu qu’au présent, mais en aliénation au passé ou au futur, où le dernier gadget à la mode devient idole.
Sa santé, elle-même, malgré les prodigieuses avancées de la médecine, se détériore, au plan moral et psychologique en tout cas, puisqu’apparaissent de nouveaux troubles générés par l’évolution d’une société fébrile et craintive, toujours plus individualiste et angoissée.
Les médecins sont de plus en plus confrontés aux symptômes dit noogènes, c’est à dire ayant pour origine l’esprit humain. Autrement dit, le déclin du sens de l’existence, la confusion intérieure, le manque de confiance en autrui et en soi-même, la perte du respect de la vie et de la personne humaine engendrent des maux de tout genre que la meilleure médecine aurait bien du mal à soigner efficacement.
L’homme moderne qui fonde son existence sur la recherche, lucide ou non, d’un intérêt individuel, égocentrique, est atteint d’une espèce de « syndrome d’irréalité », lequel n’a jamais été décrit par la psychiatrie moderne, mais dont les effets sont redoutables, déprimants, voire destructeurs pour la santé.
L’homme moderne, de plus en plus, fait de sa vie un but en soi, et son existence devient égocentrique, fermée sur elle-même. D’où une perte de tous repères, un émoussement du sens de la vérité et du sens de l’homme.
L’homme moderne devient beaucoup plus vulnérable, plus fragile qu’il ne l’était il y a quelques années. Cette considération ne vise pas que la santé physique mais également psychique.
La société qui nous est proposée est une société de gens biens policés, qui ne commettent pas d’excès, sont en bonne santé, cherchent en permanence à s’améliorer, qui achètent les mêmes produits dans les mêmes magasins, qui regardent tous la télévision à 20h...
L’individu n’est plus considéré comme une histoire, mais comme un stock de ressources, une micro-entreprise à gérer.
Cette société met en avant le culte de la performance, du « toujours plus haut, plus vite, plus fort ». Et qui n’admet plus le manque, la défaillance, la souffrance, bref, tout ce qui fait le tragique de la condition humaine, mais aussi sa grandeur.
Se demander tous les matins : « Suis-je heureux ? Suis-je en bonne santé ? Est-ce que je progresse ? Suis-je reconnu ? » est-ce le signe d’une bonne santé psychologique ? Cette obsession du bonheur n’est-elle pas au contraire un symptôme d’aliénation ?
La société qui nous entoure est tentée par la satisfaction immédiate du désir qui l’habite, dans la possession des choses ; elle est tentée de se refermer sur ce qu’elle a, au risque d’être possédée par ce qu’elle possède. Elle est tentée par la puissance, le prestige.
La société renvoie l’individu à lui même, le rendant seul responsable de sa vie, partant de l’idée que quand on veut, on peut. Elle ne permet pas de s’accepter tel qu’on est, avec ses limites, ses angoisses, ses manques et ses contradictions.
Résultat : si l’individu ne parvient pas à atteindre l’objectif assigné, à gérer son stress, à vaincre ses addictions..., il en concevra de la culpabilité ou un profond sentiment d’insuffisance et d’épuisement.
EN CONCLUSION : UNE MONTEE DU MAL ETRE
On observe la montée d’un mal-être dans notre société :
· Nous sommes les champions de l’Europe - sinon du monde - en matière de consommation de médicaments neurotropes ( antidépresseurs, anxiolytiques, somnifères....)
· Une certaine dureté accrue de la société traduit une perte de sens du bien et du mal : impolitesse généralisée, violence qui augmente…
· Une solitude croissante des personnes : divorces en augmentation, personnes âgées seules, SDF plus nombreux.
· Un recul devant l’engagement : malgré l’augmentation du temps libre, difficulté de recruter des bénévoles pour les associations et organisations qui s’essoufflent.
N’oublions pas que c’est ce mal-être que nous retrouvons dans nos entreprises et dont nous devons tenir compte dans le management de nos équipes.
Nous ne pouvons en faire l’impasse.