"Je vais leur mettre une branlée !"
Attablé dans le restaurant devant une tarte aux pommes, absorbé par mes pensées, je sursaute tant le projet énoncé est déclamé haut et fort.
"Je vais mettre une branlée à toute l'équipe, ils ont rien foutu".
Là, devant la réitération de la menace je me retourne et aperçoit l'agité cravaté, debout, gesticulant devant une tablée d'hommes costumés.
C'est un manager...que dis-je, mieux que cela, un dirigeant d'entreprise, en tout cas probablement quelqu'un qui a l'habitude de faire du ménage (*).
Il essaie de rassurer ses clients.
Manifestement le travail promis n'a pas été réalisé par son équipe de branquignoles.
Et bientôt les bougres vont goûter à la raclée promise par leur délicat patron, histoire de comprendre au moins leur douleur à défaut d'autre chose.
L'homme souligne ainsi doublement sa propre incompétence: le travail n'est pas réalisé et son équipe est tocarde.
A leur mine grise il semble évident que la solution envisagée n'entraîne pas les clients dans un élan d'optimisme.
Comme si une bonne tarte allait faire rentrer dans le moule des ânes bâtés !
L'on peut simplement craindre qu'une entreprise managée de cette façon pâtissière ne finisse par cumuler bourdes et ratés !
Plus que de multiplier des audits sur les systèmes de management, on devrait se soucier de la qualité et de la pertinence du management des hommes, véritable boule de cristal de la performance des entreprises de demain.
On commence à avoir des scrupules éthiques à traiter avec des entreprises qui font travailler les enfants, on devrait avoir les mêmes avec celles qui maltraitent leur personnel.
Et le manque de respect est une forme de maltraitance.
Bon...en attendant l'avènement du management éthique, le patron spécialiste de la branlée vient de perdre des clients et moi, je n'ai même plus le temps d'achever ma tarte aux pommes... »
Pascal FRANCOIS
(*) Manager, ménage, je me demande parfois si l'étymologie n'est pas commune...