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ANTHROPOLOGIE DE L’ANGOISSE
« Apprendre à connaître l’angoisse est une aventure que tout homme doit affronter s’il ne veut pas se perdre, soit faute de l’avoir jamais éprouvée, soit en y sombrant ; s’instruire justement en cette matière, c’est donc apprendre la plus haute sagesse. » (Soren KIERKEGAARD)
L’esprit humain n’échappe pas à l’angoisse, lui qui se demande : suis-je encore libre ? quel est le but de la vie humaine ? la vérité est-elle illusion ? surtout : comment vivre sachant que nous sommes voués à une contingence autrement radicale que celle de la vulnérabilité psychique : la contingence de la mort ?
Plus quotidiennement, certains choix de vie sont angoissants. Autant de question posées par l’intelligence et l’absence de réponse suscite l’angoisse.
L’angoisse apparaît comme une donnée fondamentale de l’existence humaine : les angoisses du soir, de la nuit, de la mort tiennent en leur pouvoir grands et petits.
Il est impossible d’y échapper, même dans le sommeil.
La nuit angoisse les petits enfants, les malades dans les hôpitaux, les personnes seules.
Au contact des grands malades en fin de vie, on commence à entrevoir ce qu’est l’angoisse et à comprendre.
Et c’est souvent au petit jour, après l’agonie de toute une nuit, que l’on voit mourir ces grands malades.
Etymologiquement, « angoisse » vient du latin augustia qui signifie resserré, étroit, oppressant.
Elle entretient la mauvaise humeur car elle est la principale source de l’agressivité.
Connaissez vous, autour de vous, l’impatience, l’agressivité, la violence ?
Ce sont les premiers fruits de l’angoisse.
Quand l’homme n’entre pas dans la confiance, il en vient à rêver d’un monde parfait. La rupture entre ce qu’il imagine et ce qu’il vit réellement l’angoisse tellement qu’il essaye d’y échapper en se défendant par la violence et l’agressivité, l’égocentrisme et l’isolement, l’orgueil - qui conduit à l’ignorance -, le découragement et le désespoir.
C’est un état d’insécurité, d’incertitude, d’impuissance.
L’angoisse apparaît au carrefour des tensions intérieures qui agitent l’homme.
L’angoisse, comme la souffrance, est le rappel permanent de notre finitude actuelle qui se heurte à notre inscription pour l’infini.
En perdant le sens de sa vie, l’homme perd sa véritable finalité.
Le psychothérapeute Viktor Frankl disait que l’absence de sens de la vie est source de certaines angoisses psychiques.
Les philosophes contemporains se sont surtout penchés sur l’angoisse née de l’exercice de la liberté. Diversement.
Pour le penseur danois Kierkegaard, l’angoisse est « le propre de l’esprit fini saisi de terreur devant son propre infini ».
Chez Heidegger, l’angoisse ne révèle plus cette part d’infinité présente en nous, mais au contraire l’horizon de finitude dans lequel est borné l’agir humain.
En effet, l’angoisse apparaît lorsque le sujet découvre le non - sens du monde, son néant, son rien.
Un monde insignifiant ne dit rien. Il renvoie à soi-même, c’est à dire à sa liberté.
L’angoisse - et elle seule - permet d’éprouver la solitude de l’homme, la singularité de sa liberté, la possibilité d’être soi.
Notre temps vit d’une angoisse particulière : pour ne prendre que l’exemple de Heidegger, elle manifeste la liberté esseulée jetée dans un monde dénué de signifiance.
« L’angoisse et le néant ne cessent de se correspondre. » (Le concept d’angoisse, Kierkegaard)
La cause originelle de l’angoisse ainsi démasquée, il devient facile de déterminer les attitudes qui permettront de s’y soustraire.
« Le juste échappe à l’angoisse, le méchant y vient à sa place.. . Qui établit la justice va à la vie ; qui poursuit le mal, à la mort. » (Prophètes 11, 8.19)
Le remède proposé par le sage est donc simple à énoncer, même s’il n’est pas facile à appliquer.
Que fait donc le sage de l’angoisse ? Il ne s’y attarde pas, il la remet à sa place de tonalité de l’âme humaine qui parfois semble envahir toute la vie, bornée par son horizon mortel. Il s’efforce de l’expliquer par les incertitudes et les faiblesses du cœur de l’homme, qui bien souvent la causent et que finalement elle châtie. Et enfin, il lui oppose les qualités de justice et de sagesse.
Une sagesse toute humaine permet déjà de réguler l’imagination, d’approfondir la réflexion, et donc d’offrir moins de prise à l’irrationalité de l’angoisse.
Cette attitude de calme prudence va de pair avec une circonspection, une connaissance de soi-même, un certain recul par rapport aux choses et aux situations qui donnent le moins de prise possible aux ébranlements du cœur.
Mais, la sagesse ne désigne pas seulement cette sorte de savoir prudentiel, cet art de conduire sa vie, né d’observations concrètes, pour parvenir à une existence paisible.
Elle ne saurait sourdre du cœur incertain de l’homme et, autant qu’une qualité humaine que l’on doit s’efforcer de développer par apprentissage, elle est présentée comme un don qui reste à accueillir.
La sagesse est une qualité humaine qui ne se développe que dans l’acceptation du don.
Elle est envoyée vers l’homme pour son éducation.
Découvrir son origine est le seul chemin de vie.
« Il est ma lumière et mon salut, de qui aurais-je crainte ? » (Psalmiste)
« Tel un brouillard qui se déchire
Et laisse émerger une cime. » (Hymne)